L'exotisme de Namsa Leuba débarque au Centre d'Art
à partir du 7 avril...

Namsa Leuba, photographe suisse-guinéenne, voue un amour tout naturel à l'Afrique, puisque c'est là que se trouvent ses racines. Elle illustre avec finesse la manière dont un occidental perçoit l’identité africaine. Dans cet entretien, l'artiste explique sa vision de la photo, son parcours et ce qu'elle souhaite donner à voir dans cette exposition exotique intitulée "Tropicadelic"...


Comment définissez-vous votre rôle de photographe ? 

J’essaie de proposer un regard qui invite le spectateur à une interprétation libre. Selon son environnement, ses connaissances, son expérience, chacun perçoit les choses de façon différente.


On retrouve dans votre travail des influences de Matisse et de Gauguin. Quels liens entretenez-vous avec ces héritages artistiques ?

Dès mon plus jeune âge, mon père m’a initiée à l’art. En accompagnant au Musée du Louvre, il m’a beaucoup parlé de peinture et de tableaux. La période impressionniste a particulièrement marqué mon parcours. J’ai découvert avec lui l’univers de Van Gogh, sa correspondance avec son frère Théo, et même ses chamailleries avec Gauguin. J’ai ainsi développé un goût particulier pour les impressionnistes, leur palette de couleurs, ainsi que les illusions visuelles qu’ils créent. Je me suis également nourrie au fauvisme de Paul Gauguin. Plus tard, c’était donc une évidence pour moi de suivre ses traces en Polynésie. Là-bas, j’ai été sensibilisée aux questions de dysphorie de genre. Chez les impressionnistes, il y a quelque chose de rebelle dans l’utilisation audacieuse qu’ils font des couleurs, offrant ainsi une vision onirique de la vie. Quelque part, pour moi, ils étaient les punks de l’époque ! La culture punk possède quelque chose qui m’interpelle profondément.


Quelle est votre démarche pour composer vos photographies ?

Pour mes projets, je consacre beaucoup de temps sur les sujets que je veux traiter, généralement un à trois ans. Lors de mes voyages, je ne me contente pas d’une visite éclair, mon approche s’inscrit dans la durée et la profondeur des relations que je tisse. J’entame ensuite le dessin de mes photos. La phase de préparation de celle-ci est importante dans mon processus de création. La mise en scène et la conception du costume sont généralement prêtes rapidement car soigneusement préparées en amont, même si elles impliquent des déplacements : aller chercher le modèle, préparer les éléments tels que les fleurs, le maquillage, la coiffure, ajuster la lumière. Je réalise une à deux prises par jour, parfois quatre.

Quelle est l'origine du titre de votre exposition Tropicadelic ?

« Tropicadelic » est une fusion entre les termes « tropical » et « psychadelic ». « Tropical » évoque l’exotisme avec ses couleurs vibrantes et sa végétation luxuriante, tandis que « psychadelic » évoque le voyage vers d’autres dimensions. Ce que je présente est un point de vue sur l’évolution des mondes et de leurs mixités.


À travers vos productions, comment interrogez-vous les stéréotypes africains et polynésiens ? Comment questionnez-vous le regard européen sur ces identités spécifiques ?

Mon travail se concentre sur la réinvention des stéréotypes et des codes, tout en laissant au spectateur la liberté de les interpréter. Par une forme de syncrétisme des archétypes culturels, j’essaie d’explorer les territoires au-delà des frontières habituelles. Ma démarche revendique au sens large le métissage et la décolonisation, notamment des codes historiquement ancrés et aussi des idées reçues. Cependant, il est important pour moi de ne jamais dénaturer leur essence propre, mais par cette démarche syncrétique, j’interroge le regard de l’occident sur ces territoires « exotiques ». L’histoire de la photographie sur l’exotisme et le primitivisme est ahurissante ! Nous savons pertinemment qu’elle a été largement fabriquée dans une perspective du « primitif » et du « sauvage » confortant l’idée de la suprématie occidentale.


Quel est le point de départ de cette recherche « tropicadelic » ?

Mon héritage helvético-guinéen a été le point de départ de mes questionnements. Je me suis interrogée sur ma double origine, et sur ce que signifie l’identité, le genre, la culture. Comment ces notions se manifestent au sein d’une culture, tant du point de vue intérieur qu’extérieur. Je suis particulièrement intéressée par la construction et la déconstruction de l’identité, qu’elle soit individuelle ou collective, ainsi que par les questions liées aux racines, au primitivisme, à l’exotisme, à la double origine, à mon héritage et aux questions de genre. Tous ces aspects me passionnent et suscitent en moi de nombreuses interrogations nourries par mes voyages.

Propos recueillis par Priscilla Mabillot